
Newsletter 453 du 10 avril 2020
Nous avons projeté de consacrer
plusieurs newsletters à des prothésistes dentaires ou à tous acteurs du
secteur dentaire, qui ont fait honneur à notre profession. Nous
commençons par Jean-Vincent Pioli. Écrivez-nous pour que nous puissions
continuer notre « tableau d’honneur ». Merci à tous.

Jean-Vincent Pioli
J’ai connu Jean-Vincent Pioli en 1970, présenté par Paul Pretto, le directeur de l’Ecole Dentaire Française lorsque nous suivions ses cours.
Prothésiste Dentaire, Ceinture noire et
professeur de judo, Jean-Vincent était un homme de conviction, mais
aussi d’action et d’engagement.
Secrétaire Général du syndicat CGT des Prothésistes Dentaires, il avait commencé dans les années soixante son combat afin «
d’imposer la reconnaissance de notre
métier, profession sans autonomie et dépendant d’une autre profession,
indispensable à la santé, méconnue de la population, ignorée des
pouvoirs publics… » 60 ans après ses mots sont toujours présents.
Pressions, manifestations, il fut de tous les combats et eut aussi le
courage d’organiser et de faire une grève de la faim en 1967 pour la
reconnaissance, entre autres, de notre titre de « Prothésiste Dentaire »
promulgué par Edgar Faure Ministre de l’Éducation Nationale.
Voisin et ami pendant des dizaines d’années je n’oublierai pas ces soirées animées que nous passions régulièrement avec
Claude Landez, Bruno Giordano, Michel Goldberg, sans oublier cette mémorable journée dans l’ancienne usine de
Marcel Louvet, ancien PDG de la «
Franco-Suisse », cette formidable entreprise, d’innovation pour les
laboratoires dentaires, aujourd’hui disparue. Condamné pour homicide
dans des circonstances professionnelles , ce dernier fit de la prison et
Vincent Pioli fut l’une des rares personnes à lui rendre visite à
Fresnes.
Jean-Vincent avait côtoyé également
Raymond Leibovitch (Professeur à
l’université Paris V) personnalité alliant tous les talents,
conférencier plein d’humour et grand ami des prothésistes dentaires,
Marcel Vevaud (MOF- UNPPD) mais aussi
Yvan Deschamps, le premier à
avoir institué en France la prothèse adjointe métallique avec Vitallium,
lui aussi personnage également exceptionnel. Ne voulant pas voir
inscrit son nom dans la revue CGT de Pioli, mais ayant de l’amitié pour
lui, il payait pour avoir une page blanche.
Mais, on ne peut parler de Jean Vincent Pioli sans parler de ses 3 livres dont le premier est un petit bijou. «
Pain sans chocolat » qui se
situe entre Paris et Vivario en Corse. Nous revivons les années d’un
môme des faubourgs, une sorte d’Antoine Doisnel des « quatre cents coups
» de François Truffaut. Jean-Vincent décrit avec charme et humour, le
vécu d’une époque où l’on s’émerveillait à la découverte de la France
d’avant-guerre. Nous découvrons un livre plein de senteurs et de
couleurs au travers des colis envoyés par la famille corse qui sentaient
bon la charcuterie : coppa, lunzo, figatellis mais aussi la polenta de
châtaigne et haricots corses. Puis les voyages dans l’île de beauté à
Vivario dans cette si belle forêt de Vizzavona et ses pins laricio, le
train, les vieux qu’il fallait embrasser, la maison de sa grand-mère
sans électricité, ni toilettes, mais cette femme qui a fait aimer la
soupe à Pioli, une soupe qui mijotait sept bonnes heures avec les
légumes du jardin, du lard et de l’huile d’olive. Plus loin le cabanon,
avec l’âne et la chèvre. Pioli ne faisait pas partie des enfants gâtés,
mais sa vie était peuplée de gens simples qui travaillaient très
durement pour des salaires dérisoires, et où l’amitié et la solidarité
étaient quotidiennes. Son univers était aussi la rue, où il fallait être
le plus fort au sens réel et au figuré. On ne peut que penser aux
photos de Cartier Bresson ou de Doisneau en lisant « Pain sans chocolat »
.On peut encore trouver quelques exemplaires de son livre sur internet.
Le deuxième livre de Pioli, édité en 1999 «
voyage dans les années 50 »
retrace sa jeunesse, son CAP de mécanicien-dentiste en 1949, aussitôt
embauché à la polyclinique des métallurgistes, ses cours de judo, les
filles et les filles, les amours, son service militaire, son
militantisme et ses espoirs, la fédération internationale des
prothésistes dentaires, 21 pays adhérents aussi différents que les USA
et la Chine, l’Egypte ou Israël, avec l’évocation d’une émouvante lettre
d’un
prothésiste dentaire de 19 ans Emile David*, à sa mère avant d’être fusillé par les nazis à Chateaubriand, Loire Inférieure, en 1941.
Enfin «
ADN » un roman paru en 2003 dans
lequel nous découvrons l’inspecteur Santini (Corse) et Marc (le
Prothésiste Dentaire) dans une banlieue parisienne que nous décrivent si
bien les journaux en quête de faits divers et les sociologues en
recherche d’explications. Jean Vincent Pioli nous entraîne dans ce livre
sur les fausses preuves d’une enquête policière bâclée, d’un coupable
tout désigné, dans un univers de petits gangs et d’identités culturelles
différentes .130 pages à lire d’un trait.
Un jour, Jean Vincent est passé à mon laboratoire, me montrant une lettre manuscrite de félicitation et d’encouragement de
Jean d’Ormesson pour ses
ouvrages. Il en fut très fier, à juste titre. Comme quoi, on ne peut
partager les mêmes idées et actions politiques, et se retrouver sur des
sujets communs. Mais
quel honneur pour Jean-Vincent, me semble t-il.
Bien sûr, il méditait à la fin du XX siècle sur ses engagements
politiques passés, et n’hésitait pas à en parler en promenant son
petit-fils devant mon laboratoire. Jean-Vincent Pioli est décédé en
2013. Sa fin fut douloureuse. Cérémonie familiale, très peu de
prothésistes dentaires assistèrent à son enterrement au cimetière de
Montreuil. Avec un caractère bien trempé, il n’eut pas que des amis, et
certains prothésistes dentaires m’ont fait part de son intransigeance, «
Nobody is perfect » .Même si les opinions politiques ou syndicales
divergent, elles s’entrecroisent parfois. Paul Pretto, Claude Landez ,
Claude Pichard… ont côtoyé Pioli ,
à une époque où notre profession tout entière était plus unie, et les initiatives plus fortes.
A titre personnel, Jean-Vincent m’a donné envie de découvrir et d’aimer la
Corse, ce que je n’ai cessé de faire depuis.
Si j’écris aujourd’hui ces quelques mémoires, c’est qu’il fut un exemple dans
ce qui est toujours possible de faire dans la vie, si on en a la volonté.
Rien ne convient mieux à Jean Vincent Pioli que le vers d’Alfred de
Musset en préambule de son « Voyage dans les années 50 » : «
Et vous aurez vécu si vous avez aimé »
Jean-Jacques Miller jjmiller@apd-asso.fr
P.s.
"Cher Jean-Jacques,
C'est en effet la tristesse. Pioli était si dynamique, vivant, et plein d'humour.
Je garde un merveilleux souvenir de nos repas pris en commun…..
Michel Goldberg
Professeur émérite
UMR-S 747- INSERM Université Paris Descartes
Equipe 5, UFR Biomédicale"
(17 mai2013)


*
lettre d’un mécanicien-dentiste de 19 ans, Emile
David, à sa mère avant d’être fusillé par les nazis à Chateaubriand, Loire
Inférieure, en 1941:
"
Ma chère petite maman adorée, et mon petit frère
René, ainsi que mon cher papa,
A l’heure où tu recevras ces quelques mots, je
serai loin de vous et pour toujours. En effet, il est 1h30 et les Allemands
viennent nous chercher pour être transportés vers une destination
inconnue.
Je vais vous dire tout de suite que je dois
être fusillé, ainsi que 26 autres camarades. Nous mourrons avec l’espoir que
ceux qui resteront aurons la liberté et le bien-être.
Mes dernières pensées sont celles-ci : j’ai
fait une paire de sabots à trèfle à quatre feuilles pour toi chère maman ; et
l’hydravion pour mon cher petit frère. Je n’ai rien pour Suzanne. Je demanderai
qu’une partie de mes photos lui soit remise. Bien triste souvenir que cette
lettre, mais mourir à présent ou plus tard, cela n’a pas
d’importance.
Ne t’en fais pas, maman, et garde ta force et
ton courage, car songe qu’il y a mon frère, mon cher petit René à élever. Toutes
mes affaires te seront transmises et tout mon matériel.
Adieu, ma chère petite maman, et adieu aussi à
toi mon cher René.
Je n’écris pas à papa, car cela le chagrinera
assez vite. Adieu, une dernière fois et songez que tous mes camarades pensent à
vous.
Adieu, mon bon papa ; je vous ai toujours aimés
malgré que je vous aie fait beaucoup de peine.
Adieu, adieu à tous."
N.b.:
Le mercredi 22 octobre 1941,
jour de marché à Châteaubriant (il y a donc beaucoup de monde en ville) les
otages, partis du camp de Choisel en camions, chantent La Marseillaise pendant
tout le trajet. On leur a donné 30 mn pour écrire une lettre à leurs proches.
Tous refusent d’avoir les yeux bandés face aux 90 SS du peloton d’exécution. Ils
sont fusillés en trois groupes de neuf.